Imams européens en Israël : entre gestes de paix et condamnations virulentes
Par Faraj Alexandre Rifai – pour Ashteret
Le 7 juillet 2025, une délégation composée de quinze imams et responsables musulmans venus de plusieurs pays européens s’est rendue en Israël pour une visite rare et hautement symbolique. Conduits par Hassen Chalghoumi, président de la Conférence des imams de France, les membres de cette mission ont rencontré le président israélien Isaac Herzog à Jérusalem, exprimé leur compassion pour les victimes du 7 octobre et appelé au retour immédiat des otages retenus par le Hamas à Gaza. Ils ont aussi chanté Hatikva, l’hymne national israélien, en arabe. Des gestes de paix puissants, qui auraient dû faire honneur à l’islam européen.
Mais cette visite, organisée par l’organisation ELNET et pensée comme un pas vers la coexistence judéo-musulmane, a déclenché une vague d’hostilité violente dans le monde musulman. Le mufti d’Égypte a publié une fatwa condamnant les imams participants, les accusant d’avoir « vendu leur religion pour un prix dérisoire » en rencontrant les représentants du « kian sioniste ». L’institution d’Al-Azhar, par la voix de son grand imam Ahmed al-Tayeb, a également dénoncé une démarche de « normalisation honteuse » qui « trahit les souffrances du peuple palestinien ».
Ces réactions sont aussi éclairantes qu’inquiétantes.
Le langage de l’hostilité religieuses
La virulence des propos tenus par certaines des plus hautes autorités religieuses du monde sunnite mérite d’être examinée avec rigueur. Lorsqu’un mufti officiel d’un État en paix avec Israël depuis 45 ans (l’Égypte), qualifie de « péché » le dialogue avec des Juifs israéliens, c’est toute une vision du monde qui s’exprime. Un monde dans lequel la paix réelle est interdite de langage. Dire « kian sioniste » — une expression répandue dans la rhétorique islamiste — ne revient pas à critiquer une politique, mais à nier l’existence même d’Israël comme entité légitime. C’est refuser à l’Autre le droit d’être.
Dans ce contexte, il est frappant de constater que les imams européens qui ont pris le risque d’un voyage en Israël sont davantage condamnés que les prêcheurs qui, chaque semaine dans le monde arabe, appellent à la haine, au rejet ou à la violence contre les Juifs. La coexistence n’est pas seulement absente ; elle est souvent considérée comme une trahison.
L’enjeu européen : redéfinir le discours religieux musulmans
La visite de cette délégation doit pourtant être saluée comme un acte de courage et de responsabilité. Face à l’essor de l’antisémitisme en Europe, souvent nourri par des discours islamistes ou des récits victimaires déconnectés de toute volonté de paix, il est essentiel que des voix musulmanes affirment une autre voie. Celle d’un islam européen conscient de son rôle dans des sociétés plurielles, soucieux d’éthique, de dignité, et de vérité. En récitant le Coran à Jérusalem, en priant pour les victimes israéliennes comme pour les Palestiniens, ces imams ont voulu rappeler que la foi ne peut être l’otage de l’idéologie.
Ils ont aussi voulu rétablir une distinction essentielle : on peut soutenir la cause palestinienne sans soutenir le Hamas. On peut être solidaire sans être complice de la haine. Et l’on peut dénoncer les souffrances de Gaza sans pour autant légitimer les slogans de mort.
Une fracture profonde
Mais cette visite révèle aussi une fracture qui traverse le monde musulman : entre ceux qui aspirent à une réconciliation des peuples, et ceux qui, au nom de la fidélité à une cause, rejettent toute forme de dialogue. Cette fracture n’est pas seulement politique. Elle est théologique, culturelle, civilisationnelle. Elle oppose un islam de la coexistence à un islam d’exclusion.
Il serait trop simple de réduire cette opposition à un clivage entre Orient et Occident. L’Europe elle-même est traversée par ces tensions, entre courants progressistes et mouvements identitaires, entre pratiques d’ouverture et stratégies de victimisation.
Ce qui s’est joué à Jérusalem, ce n’est pas un simple geste diplomatique. C’est une prise de position morale : celle d’un islam qui choisit la paix réelle, au prix de l’isolement, des menaces, voire de la marginalisation. Il faudra du courage pour la maintenir, du discernement pour l’accompagner, et des ponts solides pour la rendre audible.